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Des choseset de leurs rapportsPrésentation de huit questions quodlibetiques Guillaume d’OCKHAM SEPTIEME QUODLIBET traduction Julius Nicoladec Question n°1 Qu'il en est ainsi : parce que la création est une relation 3, mais une chose absolue n’est pas une relation ; donc etc. [Sur la question.] Je réponds : cette question comporte une difficulté générale au sujet de la création-action et de la création-passion, de la conservation-action et de la conservation-passion, c’est pourquoi je dis d’une manière générale que ni la création-action 4, ni la création-passion, ni la conservation-action, ni la conservation-passion ne désignent en dehors de l’esprit une chose autre que les choses absolues. |
[Doute n°1]
Mais il y a ici deux doutes : le premier est au sujet de la création, car on voit qu’elle est autre chose que les choses absolues, puisque Dieu et la pierre restent, et que la création ne reste pas. Ce qui est manifeste après le premier moment de la création. Donc etc.
En outre, si aujourd’hui du feu produit du feu, que demain Dieu annihile le feu produit, et que le troisième jour Dieu restaure le feu annihilé par une création, ce feu est créé le troisième jour, et pas auparavant par accident ; et cependant toutes les choses absolues qui ont existé le troisième jour, ont existé le premier jour par accident ; donc la création désigne quelque chose, outre les choses absolues.
[Doute n°2]
Le second doute est relatif à la conservation, car Dieu existe, et la pierre également, quand la pierre n’est pas conservée, si l’on distingue la création de la conservation. Ce qui est évident au premier instant, quand la pierre est créée. Donc la conservation est quelque chose en plus de Dieu et de la pierre.
[Sur le doute n°1]
Sur le premier point, je dis que la création de la pierre, active ou passive, ne signifie pas quelque chose de positif distinct de Dieu et de la pierre, mais emporte et signifie que la négation de la pierre précède immédiatement l’existence de la pierre, c’est à dire emporte que la pierre
existe maintenant et qu’elle n’existait pas immédiatement avant. Et il en est ainsi à chaque fois que, sans aucun autre rapport, on dit que Dieu crée une pierre ou qu’une pierre est créée par Dieu. Et cela seulement au premier instant de la création de la pierre.
Sur le deuxième point, je dis que le feu est créé le troisième jour, et non le premier, parce qu’à à un moment donné du troisième jour, il n’y avait absolument rien, puisque le feu était annihilé selon sa matière et sa forme, et qu’immédiatement ensuite, il a existé. Et c’est pourquoi il a été créé, parce que le troisième jour soudain, il n’y avait rien d’abord, et qu’ensuite il a existé. Tandis qu’au premier jour, il n’était pas créé, mais produit, parce que ce premier jour, il ne reçut pas tout son être par sa production, puisque nous avons présupposé qu’il a été objet d’une production.
Et si tu dis : nous posons que seule la forme 5 du feu a été annihilée, et qu’ensuite, le troisième jour, elle a été restaurée par une création. Qu’alors il reste la même matière le premier jour et le troisième, et que cependant il est créé le troisième jour, et non le premier.
Je réponds : la forme du feu est créée le troisième jour, parce qu’alors elle est produite par Dieu seul, qui seul agit à l’extérieur par la création. Mais le premier jour, elle n’a pas été créée par Dieu seul, mais par le feu ; c’est pourquoi elle n’est pas créée.
D’où ce nom de « création », quand on l’utilise simplement au sujet de la pierre, de la même manière qu’on dit que la pierre ou le feu a été créé, et non produit, signifie que le feu juste avant n’existait pas, ou que le feu juste avant n’était rien, et que le feu a été produit par Dieu seul.
[Sur le doute n°2]
Sur le second doute, je dis que la conservation, active ou passive, ne désigne rien d’autre que Dieu et la pierre, mais, de même que la création de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre immédiatement avant n’ait pas existé, la conservation de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre existe maintenant et ait existé auparavant. Et puisque cela n’est pas vrai au premier instant de la création de la pierre, alors pas pour cette raison elle n’est pas conservée, mais créée.
Sur l’argument principal, je dis que, bien que « création » soit un nom relatif, il peut cependant signifier et supposer pour des choses absolues. Et c’est pourquoi, en vertu du langage, on doit concéder ces propositions : « la création-action est Dieu » et « la création-passion est la pierre ».
Question n°2
SI LA QUALITÉ 6 DIFFÈRE RÉELLEMENT DE LA SUBSTANCE
Qu’il n’en est pas ainsi : parce que droit, courbe, convexe, concave, triangulaire, quadrangulaire, sont des qualités de la quatrième espèce 7; et c’est pourquoi elles ne différent pas de la substance, puisque Dieu ne peut pas faire un corps sans forme ; donc etc.
A l’opposé : blancheur et noirceur sont des qualités ; et ce ne sont pas des substances, ce qui est évident ; donc etc.
[Sur la question. Conclusion n°1]
Sur cette question je dis d’abord que les qualités de la troisième espèce différent réellement de la substance. Ce que je prouve, parce qu’il est impossible que quelque chose passe de contradictoire 8, en contradictoire sans acquisition ou perte de quoique ce soit, quand ce n’est pas rendu possible par l’écoulement temporel ou le mouvement local ; mais un homme est d’abord non-blanc et ensuite blanc, et ce changement n’est pas rendu possible par le mouvement local9 ni par l’écoulement temporel ; donc la blancheur se distingue réellement de l’homme.
[Conclusion n°2]
Je dis deuxièmement que les qualités de la quatrième espèce, comme sont la forme, la courbure, la droiture, la densité, la rareté 10 et autres de cette sorte, ne sont pas des choses distinctes de la substance et des autres qualités sensibles.
Ce que je prouve, parce que quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si une seule chose suffit à sa vérité, il est superflu d’en poser deux. Mais des propositions comme « une substance est droite », « une substance est courbe », et autres de même sorte, sont vérifiées en raison de certaines choses ; et la substance seule disposée de telle ou telle manière suffit à leur vérité, puisque si les parties d’une substance sont disposées selon une ligne droite et ne sont ni mues localement, ni augmentées, ni diminuées, il est contradictoire que cette substance soit d’abord droite et ensuite courbe. Donc la droiture ou la courbure n’ajoute rien en plus de la substance et de ses parties. Donc si Dieu, par sa puissance absolue, sépare d’une substance située selon une ligne droite tout accident11 tant absolu que relatif, et que les parties sont conservées au même endroit, cette substance sera toujours droite comme auparavant. Donc etc.
Mais il y a ici un doute : comment sait-on que la qualité est autre chose que la substance, et comment sait-on que non ?
Je réponds que quand des prédicables 12 peuvent être successivement vérifiés de la même chose -, et qu’ils ne peuvent pas être vérifiés de cette chose simultanément - , à cause du seul mouvement local, alors il ne faut pas que ces prédicables signifient des choses distinctes. Comme pour « courbe », « droit », et autres de cette sorte. En effet, quand quelque chose est droit, si ensuite, alors que rien d’autre n’est arrivé, ses parties sont rapprochées par un mouvement local, de telle sorte qu’elles soient moins distantes qu’auparavant, on dit qu’il est courbe ; et c’est pourquoi la courbure et la droiture n’emportent pas d’autres choses que les choses droites ou courbes. Il en est de même de la figure, puisque par le seul mouvement local de certaines parties, quelque chose peut prendre des figures diverses. Il serait en effet étonnant qu’à chaque fois que les parties d’une substance étaient mues localement, elles acquièrent ou perdent autant de fois des choses distinctes de la substance.
Sur l’argument principal, la réponse est claire par ce qui précède.
Question n°3
SI L’ACTION 13 OU LA PASSION
DIFFÈRE RÉELLEMENT DES CHOSES ABSOLUES
Qu’il en est ainsi : parce qu’on dit que la chose absolue est agent 14; mais l’action n’est et n’est pas dite agent ; donc etc.
A l’opposé : il ne faut pas poser de pluralité sans nécessité ; mais ici il n’y a pas nécessité ; donc etc.
[Sur la question]
Sur cette question, je dis que ni l’action ni la passion ne diffèrent réellement des choses absolues.
Ce que je prouve d’abord, parce que si c’était une autre chose, je demande si elle existerait par elle-même ou en tant qu’inhérente à une autre. Si elle existe de la première manière, alors c’est une substance, et on obtient l’hypothèse. Si c’est selon la seconde manière, alors l’action est ou à l’intérieur de l’agent ou du patient. Dans le premier cas, tout agent ou tout ce qui provoquerait un mouvement recevrait alors une nouvelle chose à chaque fois qu’il agirait ou qu’il provoquerait un mouvement. Et alors un corps céleste et une intelligence recevraient continuellement de nouvelles choses en agissant, et alors Dieu en agissant recevrait une chose nouvelle en lui. Si l’action était dans le patient, alors on n’appellerait pas cette chose formellement patient, mais agent. De la même manière le patient recevrait alors toujours en lui au moins trois choses, à savoir l’action, la passion et une qualité absolue, ce qu’on voit bien être absurde.
Si tu dis qu’il ne s’ensuit pas que Dieu reçoive des choses nouvelles, parce qu’il n’en va pas de même de Dieu, et des autres choses, qui sont des créatures, je rétorque : si Dieu ne reçoit véritablement rien et agit réellement, et que par conséquent, il y a ici une action sans une telle chose intermédiaire, on pose donc inutilement une telle chose dans un autre agent, puisqu’on peut vraiment et réellement être agent sans une telle autre chose.
En outre, cette chose qui est posée comme action, est causée ou n’est pas causée. Si elle n’a pas de cause, il s’agit donc de Dieu 15. Si elle est causée, je demande par qui. Par rien d’autre que par l’agent ; donc l’agent produit cette cause. Ceci étant alors donné, je m’interroge sur la production de cette chose en tant que production originaire. Et il y aura régression à l’infini, ou bien on s’arrêtera sur ce qu’une chose est produite sans aucune chose intermédiaire. Et pour cette même raison, il faut s’arrêter au début.
En outre toute chose que Dieu produit par l’intermédiaire d’une cause seconde 16, il peut la produire de lui-même immédiatement ; donc cette chose qu’on pose comme action, quand le feu agit sur le bois, Dieu peut la produire immédiatement sans que le feu agisse. Par ce fait, je demande : ou le feu agit, ou non. Si oui, le feu agit donc, et cependant seul Dieu agit. Si le feu n’agit pas, je rétorque : dans le feu, il y a une action agissant formellement et objectivement, et par conséquent il est dénommé avec vérité par cette action. Donc le feu agit vraiment. Et ainsi, le feu agit et n’agit pas, ce qui est impossible.
En outre, quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si trois choses suffisent pour sa vérité, il ne faut pas en poser une quatrième ; mais cette proposition, « le feu agit sur l’eau », est vérifiée en raison de certaines choses, et pour sa vérification suffisent le feu, l’eau et la chaleur produite dans l’eau par la présence du feu, de sorte que si le feu n’était pas présent à l’eau, la chaleur ne serait pas produite ici naturellement sans aucun rapport intermédiaire, on dirait alors avec vérité que le feu est l’agent, l’eau le patient, et la chaleur l’effet produit ; donc aucune autre chose n’est requise pour la vérité de telles propositions.
[Objection n°1]
Mais à l’opposé : il n’est pas possible de passer de contradictoire en contradictoire sans aucun changement. Mais quand le feu expose le feu sur l’eau, au premier instant où le feu est produit, le feu agit vraiment sur la matière et la matière subit vraiment en recevant la forme du feu ; et après cet instant, ni la matière ne subit, ni le feu n’agit ; donc il y a ici un changement quelconque. Mais rien de nouveau n’est acquis, donc quelque chose d’antérieur est détruit, et rien d’autre si ce n’est l’action ou la passion. Et ce n’est pas quelque chose d’absolu qui est détruit, donc il s’agit d’un rapport. Donc l’action et la passion sont des rapports.
[Objection n°2]
En outre, quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si quelques unes ne suffisent pas, il faut en poser de plus nombreuses ; or cette proposition, « le feu agit », est vérifiée en raison de certaines choses, et les choses absolues ne suffisent pas à la vérifier parce que toutes les choses absolues ne peuvent être faites que par Dieu seul, et alors cette proposition, « le feu agit », ne sera pas vraie ; donc etc.
[Sur l’objection n°1]
Sur la première de celles-ci, je dis qu’il faut parler autrement de l’agent qui ne conserve pas, et autrement de l’agent qui conserve 17. En effet si l’on parle d’un agent qui ne conserve pas, alors un tel passage est préservé par le seul écoulement temporel. Parce qu’une action qui n’est pas conservation emporte entièrement cela, que de la présence de ce feu à l’eau s’ensuit de la chaleur dans l’eau, qui n’y serait pas si le feu n’était pas présent à l’eau, et parce qu’après le premier instant où est posée la forme du feu, si l’agent était détruit, rien moins que la forme du feu n’existerait dans la matière de l’eau, c’est pourquoi on dit alors, à cause de l’écoulement temporel, que le feu qui avait d’abord été agent, n’est plus agent.
De la même manière, parce que la passion qui n’est pas conservation passive dit tout à fait cela, que la matière a maintenant une certaine forme en la présence du feu, qu’immédiatement auparavant elle n’avait pas, après le premier instant, de ce fait que le temps s’écoule, sans rien d’autre d’ajouté, il s’ensuit que cette proposition est fausse : « ce patient subit par cet agent », et que cette proposition est vraie : « ce patient ne subit pas par cet agent ». De la même manière que le seul écoulement temporel suffit à vérifier d’abord cette proposition : « Socrate est en a » et ensuite celle-ci : « Socrate n’est pas en a ».
Mais de tels contradictoires ne peuvent pas être vérifiés d’un agent qui se conserve, si ce n’est par la destruction de l’effet.
Et si tu demandes si l’action et la passion perdurent après le premier instant, je réponds que oui, en ce sens : que ce qui est agent cesse d’être agent, et que ce qui est ou a été le patient cesse d’être patient. Et ce sens est vrai. Et en ce sens, on peut concéder que la puissance 18 de la matière 19 est détruite ou que l’absence est détruite par l’arrivée de la forme, non que quelque chose ici soit vraiment détruit, mais parce que la matière cesse d’être en puissance ou cesse d’être absente, c’est à dire commence à prendre forme.
[Sur l’objection n°2]
La seconde objection a été fréquemment traitée ci-dessus. C’est pourquoi maintenant je passe.
Sur l’argument principal, je dis que, pour parler logiquement, l’action est vraiment agent, parce qu’elle suppose 20 vraiment et réellement pour l’agent.
Question n°4
SI LES PREDICAMENTS DE L’ACTION ET DE LA PASSION
SONT COMPOSES DE CONCEPTS
Que non : parce que l’un et l’autre prédicaments sont prédiqués 21 au sujet de choses ; donc ils sont composés de choses.
A l’opposé : ces prédicaments sont composés de signes signifiant naturellement des choses; or les concepts sont de cette sorte ; donc etc.
[Sur la question]
Sur cette question, je dis que, selon l’intention du Philosophe, tous les mots mentaux actifs, qui sont des concepts, sont des prédicaments de l’action, et tous les mots mentaux passifs sont prédicaments de la passion, que ces mots signifient des substances ou des qualités, parce qu’ Aristote dénomme toujours ces prédicaments par de tels mots, comme on peut le voir dans « Les catégories 22 ». Et Damascène 23 dans sa « Logique » concorde avec lui.
D’où le prédicament de l’action n’est rien d’autre qu’un certain arrangement des termes d’action impliquant que quelqu’un agit ou fait quelque chose, de la même manière qu’un mot est prédiqué avec vérité d’un autre mot en ajoutant le pronom « qui », comme quand on dit « qui réchauffe agit », « qui refroidit agit ».
Et si de tels mots étaient en usage, et que des participes et des noms leur correspondant supposaient 24 pour eux, alors, comme ils signifient en tout point la même chose, « agent » et « action » supposeraient pour eux. Et alors, en vertu du langage, on doit concéder que l’action est une chose absolue comme l’agent, et que de la même manière que l’agent est substance, l’action est substance. Cependant la substance est action de manière contingente, comme elle est agent de manière contingente.
Et de la même manière, en vertu du langage, la passion est la substance qui pâtit, comme on voit Damascène le dire dans sa « Logique 25 ». D’où il dit : « Quant à faire et subir, pour une substance quelconque, c’est la même chose qu’être agissant ou patient ».
Sur l’argument principal, je dis qu'aucun des deux prédicaments n’est prédiqué au sujet des choses, mais au sujet des concepts des choses.
Question n°5
SI LE PREDICAMENT « QUAND »
EMPORTE UNE CHOSE DISTINCTE 26 DES CHOSES ABSOLUES
Qu’il en est ainsi : parce que soient deux êtres individuels de même raison et en tous points semblables, excepté que l’un a existé avant l’autre, il est vrai de dire que l’un est plus ancien que l’autre ; donc l’un a quelque chose que l’autre n’a pas, et rien d’autre que le rapport emporté par le « quand » ; donc le « quand » emporte un tel rapport.
A l’opposé : de l’avis de tous, il faut poser à n’importe quel rapport un terme quelconque et, comme il est évident, on ne peut pas poser un quelconque terme à ce rapport du « quand », si ce n’est le temps; mais le temps de beaucoup de choses qui sont visées par le « quand » est le passé ; et par conséquent il ne met pas un terme à un tel rapport réel.
Sur cette question, je dirai d’abord que « quand » n’est pas un tel petit rapport distinct des choses absolues ; deuxièmement je dirai de quoi se compose le prédicament « quand ».
[Premier article]
Sur le premier point, je dis universellement que « quand » n’est pas quelque rapport distinct des choses absolues.
[Preuve n°1]
Ce que je prouve de plusieurs façons. D’abord ainsi : parce que si « quand » était une telle chose inhérente à la chose temporelle, comme on ne devrait pas plus poser une telle chose par rapport à un moment que par rapport à un autre, il y aurait donc une telle chose par rapport au temps futur. Conséquence fausse, parce que si une quelconque chose semblable est dans cet homme qui existera demain, sans quoi on ne peut dire qu’il existera demain, alors de la même manière que quelque chose ne peut pas être blanc sans blancheur, il y aura une quelconque telle chose dans cet homme, par rapport au temps de n’importe quel instant dans lequel il existera. Et comme ces instants sont en nombre infini, il s’ensuit que dans un enfant qui naîtra demain, il y aura autant de choses de cette sorte, qu’il y a de temps futurs dans lesquels il existera, qu’il y a d’instants futurs dans lesquels il existera. Et ainsi dans cet enfant, il y aura une infinité de choses. De la même manière, dans un homme qui aura existé dans une infinité de temps et dans une infinité d’instants, seront déposées de telles choses en nombre infini.
Et si tu disais que ces instants n’ont pas existé en acte 27, je répondrais : ou il y eut un jour un instant en acte, ou il n’y en eut aucun. Si c’est aucun, il n’y a donc rien qui soit un instant. S’il y en eut un, et pas plus l’un que les autres, il y en a donc eu une infinité en acte.
[Preuve n°2]
Deuxièmement, parce qu’au sujet de toute chose, il appartient de dire de manière déterminée qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas. Soit donc cette chose qui doit avoir été déposée par l’adjacence de la veille. Alors dans cet homme ou bien existe de manière déterminée une telle chose qu’on appelle le « quand » du futur, ou bien elle n’existe pas dans cet homme. Si elle est en lui, alors cette proposition est vraie de manière déterminée : « cet homme existera demain ». Si elle n’est pas en lui, la proposition opposée sera donc vraie de manière déterminée, à savoir que cet homme n’existera pas demain. Ce qui est contraire à Aristote 28 qui nie une vérité déterminée dans les futurs contingents.
[Preuve n°3]
Troisièmement, parce que je demande : ou il existe en cet homme un tel rapport par rapport au lendemain, ou il n’existe pas en lui. S’il existe en lui un tel rapport, alors j’argumente : il s’ensuit formellement « il y a dans cet homme un tel rapport par rapport à demain, donc cet homme existera demain », de la même manière qu’il s’ensuit formellement « il y a de la blancheur dans cet homme, donc cet homme est blanc ».
Et j’argumente plus avant : toute proposition vraie au présent, qui ne dépend pas d’un quelconque futur, comporte quelque proposition nécessaire au passé. Par exemple si cette proposition est vraie maintenant : « Socrate est assis au moment a », après a, celle-ci sera toujours nécessaire : « Socrate était assis au moment a ». Donc si cette proposition est vraie maintenant : « cette chose qui est le « quand » par rapport à demain est dans Socrate, à cause de quoi Socrate est devant exister de manière déterminée demain », après cet instant cette proposition sera toujours nécessaire : « cette chose qu’est le « quand » a été dans Socrate ». Et ainsi, après cet instant, cette proposition sera toujours nécessaire : « Socrate a été devant exister demain ». Et par conséquent, Dieu ne peut pas faire que Socrate n’existe pas demain, parce que de cela seul Dieu est empêché, de faire que ce qui a eu lieu ne se soit pas produit. 29
Mais si cette chose qu’est le « quand » par rapport à demain n’est pas dans Socrate, de sorte que cette proposition soit vraie de manière déterminée au présent, comme sa vérité ne dépend pas d’un quelconque futur, cette proposition sera toujours nécessaire : « cette chose n’a pas été dans Socrate », et il s’ensuit formellement : « cette chose n’a pas été dans Socrate, donc Socrate n’a pas été devant exister le lendemain », de la même manière qu’il s’ensuit : « la blancheur n’a pas été dans Socrate, donc Socrate n’a pas été blanc ». Et l’antécédent est nécessaire, par l’hypothèse posée, donc la conséquence est nécessaire. Et par conséquent Dieu ne peut pas continuer la vie de Socrate jusqu’au lendemain. Et ainsi tout ce qui arrive, arrive de nécessité, et rien n’arrive par hasard ou par fortune. 30
Ce qui se confirme : de même qu’une proposition vraie de manière déterminée dans le présent comporte quelque proposition nécessaire au passé, une proposition fausse au présent qui ne dépend pas du futur comporte quelque chose d’impossible au passé. De même que si cette proposition est maintenant fausse : « Socrate existe au moment a », celle-ci sera toujours impossible par la suite : « Socrate n’a pas existé au moment a ». Donc si cette proposition est maintenant fausse de manière déterminée : « cette chose qui est le « quand » par rapport à demain est dans Socrate », celle-ci sera toujours impossible par la suite : « cette chose a été dans Socrate », et par conséquent celle-ci sera toujours impossible : « Socrate a été devant exister plus tard ». Et alors je demande : ou Socrate peut exister demain, ou non. Si oui, Socrate peut donc exister demain sans un tel rapport. De la même manière alors, cette proposition : « Socrate a été devant exister demain » n’est pas impossible, mais nécessaire, puisque mise au présent, elle est vraie de manière déterminée. Et ainsi nécessairement Socrate existera demain. Ou bien Socrate ne peut pas exister demain, et alors il est impossible qu’il existe demain. Et alors de cette façon, rien ne serait futur contingent, mais tout arriverait par nécessité.
Ce qui se confirme, parce que si « quand » était une telle chose, alors de la même manière qu’il est impossible que quelque chose soit chaud sans chaleur, il est impossible qu’une chose temporelle soit à exister dans le futur sans une telle chose. La conséquence est fausse, puisque cette proposition est vraie : « L’Antéchrist 31 existera avant le jour du jugement », et cependant dans l’Antéchrist, comme il n’y a rien, il n’y a pas une telle chose.
Si tu dis que du temps futur ne se dépose pas une telle chose, avant que la chose temporelle ne soit dans ce temps. Et qu’ainsi ni l’Antéchrist ni Socrate existant maintenant ne possèdent une telle chose provenant du temps futur:
Je rétorque : si cette chose peut vraiment exister demain et dans tout temps futur sans une telle chose, pour la même raison cette chose a existé sans une telle chose au temps passé, et existe maintenant ; c’est donc inutilement qu’on pose une telle petite chose.
[Preuve n°4]
Quatrièmement, parce que cela ne comporte aucune contradiction que Dieu conserve Socrate, qui existait hier, sans un tel rapport par lequel on dit qu’il a existé hier, parce qu’il peut par sa puissance absolue conserver Socrate et détruire cette chose. On pose donc qu’elle y est. Et alors je demande : ou cet homme a existé hier, ou non. Si oui, Socrate a donc existé hier sans un tel rapport, et par conséquent par cette chose on ne dit pas que Socrate a existé hier, ce qui est la proposition. Si Socrate n’a pas existé hier, au contraire : par hypothèse, cette proposition a été vraie hier : « Socrate existe aujourd’hui », donc par la suite celle-ci est toujours nécessaire au passé : « Socrate a existé hier », de sorte que Dieu ne peut pas faire que Socrate n’ait pas existé hier, d’où il a existé.
C’est pourquoi je dis que « quand » n’est pas un rapport tel que les hommes le posent communément. 32
[Second article]
Au sujet du second point, je dis que le prédicament « quand » est composé des adverbes, ou autres termes équivalents à des adverbes, par lesquels on répond convenablement à la question faite par cet interrogatif « quand ». Et c’est pourquoi Aristote 33 dénomme toujours ce prédicament par cet interrogatif « quand », et pas autrement, parce que nous n’avons pas de noms spéciaux pour tous ceux par lesquels on répond à une telle question. Et c’est pourquoi ce prédicament n’emporte pas une quelconque chose distincte de la substance et de la qualité, mais emporte la substance et la qualité de manière adverbiale et non par des noms.
Mais un doute est comment peut-on sauver le passage de contradictoire en contradictoire, par exemple que maintenant cette proposition est vraie : « Socrate a existé hier », et qu’hier elle n’était pas vraie.
Je réponds qu’il est sauvé par l’écoulement temporel, parce que de cela que le temps qui coexistait avec lui s’écoule, on dit que maintenant Socrate a existé hier, mais auparavant non.
Sur l’argument principal, je dis que le « quand » n’emporte pas un rapport tel que les hommes l’imaginent, mais emporte le fait de coexister, ou d’avoir coexisté, ou qu’on coexiste avec tel moment. Et d’une telle coexistence de la chose avec le temps, il n’en reste pas plus une quelconque chose dans la chose temporelle qu’il ne reste quelque chose dans un ange de ce qu’il coexistait avec moi, ou de ce que j’ai été à la maison ou à l’église.
Et quand on dit que celui qui est plus ancien a quelque chose que l’autre n’a pas, je réponds : « avoir » est pris en un double sens : d’une première manière, comme sujet qui a un accident. Et alors l’assertion est fausse. D’une autre, parce qu’il a coexisté avec un temps plus grand. Et alors il n’a pas quelque chose que l’autre n’a pas, parce que avoir de plus nombreuses années n’est pas avoir quelque chose en soi formellement, mais seulement avoir coexisté de plus nombreuses années.
Si donc je dis que le prédicament « quand » est composé d’adverbes tels « aujourd’hui », « hier », « demain », « la veille », et de même de tous les adverbes par lesquels on répond convenablement à cette interrogation « quand ».
Question n°6
SI « OU 34 » EMPORTE UNE CHOSE DISTINCTE DES CHOSES ABSOLUES
Qu’il en est ainsi : parce que par le mouvement local, quelque chose est vraiment acquis ; mais aucune chose absolue n’est acquise par le mouvement local ; donc il s’agit d’un rapport.
A l’opposé : Tout peut être sauvé par les choses absolues ; donc etc.
[Sur la question. Conclusion n°1]
Sur cette question, je dis brièvement que non. Ce que je prouve d’abord, parce qu’il n’est pas besoin de poser un tel rapport, si ce n’est à cause du mouvement local, parce qu’il faut évidemment que par tout mouvement local quelque chose soit acquis ou perdu ; mais il ne faut pas le poser à cause de cela, puisque la sphère ultime est mue localement, et cependant n’acquiert aucun nouvel « où », puisqu’il n’existe aucun corps circonscrivant la sphère ultime 35 qui puisse être le terme de ce rapport ; donc etc.
Et si tu dis que la sphère ultime a un rapport opposé au centre36, parce que la terre repose au centre, et qu’autour de ce centre se meut la sphère ultime :
Je rétorque : de là, on a la proposition que le mouvement local peut exister sans l’acquisition d’un tel « où », parce qu’il est manifeste que le ciel n’est pas sur terre comme dans un lieu 37. Donc il n’ y a pas ici un tel « où ».
En outre, si le ciel était tendu de manière continue, et était absolument un seul corps, comme Dieu pourrait le faire, à ce moment là, Dieu pourrait mouvoir ce corps circulairement, et cependant rien ne serait alors en repos ; donc etc.
En outre, si Dieu faisait un corps sans aucun lieu, il pourrait toujours mouvoir ce corps, et cependant rien ne reposerait alors, et aucun « où » ne serait acquis.
En outre, s’il en était ainsi, alors non seulement la totalité du ciel, mais l’une quelconque de ses parties aurait un tel « où », et par conséquent, il y aurait autant de semblables « où » dans le ciel, que de parties du ciel, ou alors il y aura un seul rapport total étendu à l’étendue du ciel.
En outre, ne comporte pas de contradiction le fait que Dieu détruise ce rapport, sans détruire le lieu, ni le corps placé, sans transférer le lieu, ni la chose placée de lieu en lieu. De ce fait, je demande : ou ce corps est dans ce lieu, ou non. Si oui, et qu’il n’a pas un tel rapport, donc il est placé dans le lieu sans un tel rapport, et par conséquent on l’a posé inutilement. S’il n’est pas dans le même lieu où il a été auparavant, et que rien n’est détruit, quelque chose a donc été mu localement, ce qui est contre l’hypothèse.
[Conclusion n°2]
Deuxièmement, je dis que le prédicament « où » est composé des adverbes de lieu, par lesquels on répond convenablement à la question faite par cet adverbe « où », comme « ici », « là », « là-bas », « à l’intérieur », « à l’extérieur », et autres adverbes de lieu 38.
Sur l’argument principal, je dis que quelque chose peut être quelque part, où il n’était pas d’abord, par le seul mouvement local, sans acquisition ou perte de quelque rapport que ce soit, parce que de cela même que quelque chose est mu localement et devient présent en un lieu quelconque, de sorte qu’il n’y ait rien d’interposé entre lui et le lieu, on dit qu’il est quelque part où il n’était pas auparavant.
Si tu dis que dans tout mouvement quelque chose est acquis par le mobile 39, ou perdu par lui, je réponds : je nie cela. Ou plutôt, il suffit que soit acquis ou perdu un lieu, qui n’est pas objectivement dans la chose placée. Et ceci est propre au mouvement local.
Et si tu dis que le lieu n’est pas acquis par quelque chose si ce n’est qu’il se forme lui-même, je réponds : je nie cela, parce que le fait qu’un lieu soit acquis par quelque chose n’est pas autre chose que le fait qu’il arrive par le mouvement local qu’il n’y ait rien d’intermédiaire entre le corps placé et le lieu. Parfois même, il peut y avoir un mouvement local sans acquisition de quoique ce soit donnant forme ou non, mais il suffit que s’il y avait quelque lieu autour, ce lieu soit alors gagné. Un exemple en est de la sphère ultime, parce que de ce qu’elle est mue localement, rien n’est acquis 40. Cependant, s’il y avait un lieu quelconque au repos entourant cette sphère, alors elle gagnerait ce lieu. Mais de fait, elle n’acquiert aucun lieu de nouveau, et cependant on dit qu’elle est mue localement.
Question n°7
SI LA POSITION 41 OU L’HABITUS 42
EMPORTENT DES RAPPORTS DISTINCTS DES CHOSES ABSOLUES
Qu'il en est ainsi, parce que les positions assise et debout sont vraiment dans la chose, et n'existent pas elles-mêmes réellement ; elles en sont donc distinctes. Elles ne sont pas des choses absolues, parce qu'alors à chaque fois qu'un homme se tiendrait debout, puis s'assiérait, il gagnerait vraiment une chose absolue et en perdrait une autre, ce qui est faux ; donc ce sont des rapports distincts.
En outre, il en est de même en ce qui concerne l'habitus, puisqu'on dit que quelqu'un a maintenant un habitus qu'il n'avait pas auparavant ; il a donc acquis quelque chose en lui-même, et rien d'autre qu'un rapport ; donc etc.
A l'opposé : on ne doit pas poser de pluralité sans nécessité.
[Sur la question: première conclusion]
Je réponds d'abord que la position ne désigne pas une chose autre que les choses absolues. La raison en est que quand des prédicables peuvent être successivement vérifiés de quelque chose par le moyen du seul mouvement local, sans pouvoir en être vérifiés simultanément, ces prédicables n'ont pas à impliquer des choses distinctes des choses absolues. Mais par le seul mouvement local, sans l'intermédiaire d'aucun rapport, on peut passer d'une position non assise à une position assise, parce que les parties sont mutuellement disposées autrement entre elles, sans rien d’autre, quand on est assis et quand on est debout, et une partie est plus distante d'une autre à un moment qu’ à un autre, du fait qu'il y a entre elles un corps plus grand à un moment qu'à un autre. Donc etc.
Et c'est pourquoi je dis que la position, qui est un prédicament, ne signifie pas une chose distincte des choses absolues, mais signifie que les parties de la chose absolue sont disposées et rapprochées de telle ou telle manière, car de cela même que quelqu'un est redressé, et qu'ainsi ses jambes ne sont pas pliées, ni les parties de ses jambes rapprochées, on dit, homme ou animal, qu'il est debout; alors que quand les parties sont recourbées, on dit qu’il est assis.
[Deuxième conclusion]
Deuxièmement, je dis que dans ce prédicament qu'est la position, il y a "être assis", "être couché", "être penché" et autres similaires, qui ne peuvent pas s'accorder ensemble si ce n'est dans une grandeur telle que les parties en puissent être rapprochées de diverses manières, les prédicables contraires pouvant, grâce à la dite diversité, y avoir lieu successivement sans incompossibilité.
[Troisième conclusion]
Troisièmement, je dis que l'habitus, qui est un prédicament, ne désigne pas une quelconque chose distincte des choses absolues. Ce que je prouve par l'exemple d'une chaussure. Il est possible que Dieu détruise ce rapport qu'on appelle habitus, sans détruire la chaussure ni la jambe, et sans les déplacer localement. Ceci étant posé, je demande si notre homme est chaussé ou non. Si c'est oui, on obtient la proposition ci-dessus. Si c'est non, et que rien d'absolu n'est détruit, alors quelque chose est déplacé localement, parce qu’il est impossible que quelqu'un soit d’abord chaussé et ensuite déchaussé, si ce n'est par la destruction de quelque chose d'absolu ou par le mouvement local de quelque chose d'absolu. C'est pourquoi j'affirme qu'on dit que quelqu'un est chaussé, et identiquement pour les autres habitus, de cela seul que telle chose, par exemple une chaussure ou un capuchon, lui est maintenant appliqué et ne l'était pas auparavant.
D'où l'habitus, qui est un prédicament, implique qu'une chose soit autour d'une autre qui soit mobile de son propre mouvement, si un obstacle ne l'en empêche pas. La dite chose n'est pas une partie de celle qui la possède , n'en est pas solidaire, mais s'en distingue par le lieu et la position.
[Quatrième conclusion]
Je dis quatrièmement que ce prédicament comporte des choses comme : "être armé", "être chaussé", et ainsi de suite.
Au sujet du premier argument, je dis principalement que le fait d'être assis ou d'être debout peuvent être pris pour des concepts, et alors ne sont pas dans la chose. Ou bien ils peuvent être pris pour des choses, et je concède alors qu'ils sont dans la chose, parce qu'on ne désigne alors rien d'autre que les parties de l'animal, et que les parties corporelles ainsi ordonnées sont dans la chose. Et celles-ci ne sont pas la chose même, mais des parties distinctes absolues diversement ordonnées.
Je dis ailleurs que ce passage de contradictoire en contradictoire peut être suffisamment sauvé par le mouvement local, sans aucun rapport.
Question n°8
SI L'UNITÉ DE L'UNIVERS, OU LA PROXIMITÉ DES CAUSES,
OU LA DISTANCE ENTRE LES CHOSES EMPORTENT
DES RAPPORTS DISTINCTS DES CHOSES ABSOLUES
Qu'il en est ainsi, parce que l'unité de l'univers est dans l'ordre de ses parties dans leurs relations mutuelles et envers l'être premier, comme l'unité d'une armée est dans l'ordre des parties entre elles et sous leur chef. Mais cette unité n'est cependant pas une chose absolue, car les choses absolues peuvent exister sans constituer un univers comme elles le font maintenant. De là, contre ceux qui nient que l'unité de l'univers soit une relation , on peut citer les paroles du Philosophe, Métaphysique, XII 43, à savoir que ceux qui le prétendent rendent la matière de l'univers sans lien. Donc etc.
Le deuxième point est établi, parce que les causes secondes ne peuvent être causes que par proximité. Cette proximité n'est ni un être de raison, ni un être absolu 44, parce que les choses absolues peuvent être sans être approchées. Donc etc.
Le troisième point est établi, parce que la distance entre l'agent et le patient ne désigne absolument ni l'agent ni le patient, puisqu’alors l’agent est toujours distant du patient, donc cela emporte un rapport distinct d’eux.
A l'opposé : tout peut être conservé par les choses absolues seules, donc un rapport est superflu.
[Sur la question]
Je réponds brièvement que non. La raison en est que, quand une proposition est vérifiée en vertu de certaines choses, si de moins nombreuses suffisent, de plus nombreuses sont inutiles ; mais il en est ainsi dans toutes ces propositions : "les parties sont ordonnées en un univers", "les causes sont rapprochées", "les choses occupent des lieux distants" ; donc etc.
En outre, si la proximité ou la distance était quelque chose d'autre, il s'ensuivrait que toutes les fois qu'un corps quelconque serait déplacé vers le bas, il y aurait dans n'importe quelle chose corporelle et spirituelle une quelconque chose réelle qui n'existait pas auparavant. De la même manière, il s'ensuit que dans n'importe quel ange, il y a une infinité de choses, puisque dans n'importe quelle chose continue 45, il y a une infinité de parties dont l'ange est respectivement distant, donc il y a dans un ange une infinité de distances.
Et si tu dis qu'un ange n'a pas une telle relation, si ce n'est avec le tout, et qu'il n'a pas de relation distincte à une quelconque partie distincte :
Je rétorque que l'ange est plus distant d'une partie que d'une autre, donc autre est la distance de l'ange à une partie du continu, et autre à une autre, et par conséquent autre est le rapport..
En outre, soient deux corps, n'importe quel changement étant effectué autour d'eux, pourvu qu'ils ne soient altérés ni changés, ni selon le lieu, ni selon leur totalité, ni selon une quelconque de leurs parties, ils resteront proches ou distants de la même manière, et par conséquent, bien que de telles relations aient été détruites, les deux corps conserveront entre eux la même distance. Et une fois détruite cette relation qu'on appelle ordre de l'univers, l'univers sera alors encore ordonné comme maintenant, si les parties absolues de l'univers restent non détruites, ni changées selon le lieu.
En outre, il s'ensuit d'une autre manière que par le mouvement de mon doigt, je remplirai de nouveau tout l'univers par de nouveaux accidents, par exemple le ciel, la terre, la nature corporelle et spirituelle, puisque quand je remue le doigt, mon doigt a une autre position par rapport au ciel et par rapport à n'importe laquelle de ses parties, ou plutôt une autre position qu'auparavant par rapport à n'importe quelle partie du ciel ; et par conséquent il y a autant de nouveaux rapports dans le ciel qu'il y a de parties du ciel, et celles-ci sont en nombre infini 46 ; donc etc.
Sur le premier point, je dis principalement que l'ordre et l'unité de l'univers ne sont pas un certain rapport, comme une sorte de lien qui lierait mutuellement les corps ordonnés en un univers, comme si ces corps n'étaient pas ordonnés et que l'univers n'existait pas vraiment sans un telle relation, comme l'imagine Simplicius 47 au sujet des Prédicaments. Mais cet ordre emporte seulement les choses absolues elles-mêmes, qui ne constituent pas une seule chose en nombre, parmi lesquelles l'une est plus distante d'une même chose et l'autre moins, et l'une proche d'une autre, et une autre plus ou moins distante, sans aucun rapport inhérent, en sorte qu'elle soit entre certaines, et non entre d'autres. Et ainsi la connexion de l'univers est mieux préservée sans un tel rapport qu'avec.
Sur le deuxième point, je dis que la proximité des causes non seulement exprime une chose absolue, mais emporte qu'il n'y ait aucun obstacle entre elles. Et c'est pourquoi quand il n'y a aucun obstacle entre elles et qu'elles existent, alors l'une pourra agir sur l'autre. Mais quand il y a quelque obstacle entre elles, alors il ne se peut pas que l'une agisse sur l'autre. Ceci est évident, si je prends le soleil et quelque chose de non éclairé, par exemple l'air à l'intérieur de la maison. Si un corps opaque quelconque est interposé, il est certain qu'il ne se passera rien. Mais une fois cet obstacle ôté, par exemple en ouvrant la fenêtre, sans aucune chose alors nouvellement acquise par le soleil ou par l'air, le soleil peut éclairer l’air. Et par conséquent, il est possible qu'il y ait des choses qui existent sans que d'abord l'une agisse sur l'autre, et qu'ensuite il se fasse que l'une agisse sur l'autre à cause du seul changement de lieu de l'un ou l'autre corps, ou parfois plutôt par la seule modification de l'un des deux corps, par exemple s'il y a changement de l'opacité d'un nuage, l'air peut être éclairé sans qu'il n'y ait aucun nouveau rapport.
C'est pourquoi je dis qu'on dit alors que la cause est rapprochée, quand l'agent existe, que le patient existe, et qu'il n'y a aucun obstacle interposé entre eux. Mais quand il n'y a pas proximité, alors un obstacle quelconque est interposé entre eux. Et ce quelque chose peut parfois être déplacé par un mouvement local de l'agent ou du patient, par exemple quand une grande quantité d'air entre deux corps quelconques empêche leur action, parfois, comme dit ci-dessus, par le changement local de l'un des deux, parfois par la modification de l’un des deux, parfois par le concours de quelque cause partielle requise par l'agent. En effet, si l'on approche l'eau du feu, Dieu peut d'abord suspendre son action, et ensuite agir avec le feu sans aucun changement local ni relation nouvelle acquise ou perdue.
Sur le troisième point, je dis que ni la distance de l'agent au patient ni sa présence n'emporte absolument qu’elles soient des choses absolues. Mais cela emporte qu’elles soient des choses absolues, et la puissance emporte qu'il n'y ait aucun corps intermédiaire entre eux, ou qu'il ne puisse y avoir pour le moment de mouvement local de l'un par rapport à l'autre. Mais maintenant, de cette proposition négative : " il n'y a aucun corps intermédiaire", je ne peux pas déduire cette affirmative : "donc il y a une certaine chose positive en plus des choses absolues", de la même manière qu'il ne s'ensuit pas que "rien n'existe entre ces contradictoires, donc il y a quelque chose entre eux" 48. Mais la distance implique qu'il y ait quelque chose d'intermédiaire entre ces choses absolues. Et l'on dit que la distance est plus grande ou plus petite selon que le corps intermédiaire 49 est plus grand ou plus petit.
NOTES
1. Création et conservation sont deux manières différentes de noter une même chose: c’est le même acte pour Dieu de créer ou de conserver: « Creatio et conservatio significant idem et differunt solum penes connotata » (Ockham, Questiones...,II, q.10}, création et conservation sont la même chose et ne diffèrent que par rapport à ce qu’elles connotent.
2. Même si, comme le note L. Baudry (Lexique philosophique..., article absolutum), il est impropre de parler d’une chose absolue, res absoluta, Ockham utilise ici systématiquement l’expression, pour parler des substances, ou même de certaines de leurs qualités (Cf. Q. n°2), dans le sens de ce qui existe réellement, donc de manière séparable.
3. Pour Aristote , «le Philosophe », et pour les penseurs dits scolastiques, la relation est l’une des dix catégories, ou prédicaments. « On appelle relation ces choses dont tout l’être consiste en ce qu’elles sont dites dépendre d’autres choses ou se rapporter de quelque autre façon à autre chose. » (Aristote, Catégories, ch.7, traduction J. Tricot)
4. L’action et la passion sont deux des dix catégories aristotéliciennes. La passion est opposée à l’action, et consiste donc à subir l’action, à pâtir. Cf. Aristote, Catégories, c. 9, et pour un développement plus complet, Aristote, De la génération et de la corruption, livre I, c. 7 à 9. La création-action est la création côté créateur, la création-passion est la création côté chose créée, cf. lignes 63-64.
5. Il y a pour Aristote quatre causes: la cause matérielle (la matière dont la statue est faite), la cause formelle (la forme de la statue, ce qu’elle représente), la cause efficiente (le sculpteur), la cause finale (le but du sculpteur: la beauté, la célébrité, ou l’argent). La forme est donc le principe qui détermine la matière, c’est à dire ce qui vient s’adjoindre à la matière, ce par quoi celle-ci a une essence déterminée. Exprimé de manière plus théorique: « Forma est quidam actus natus recipi in illa materia » (Ockham, Summulae..., I, c.23), la forme est un certain acte destiné à être reçu dans cette matière. Rappelons que le feu est à l’époque considéré comme chose, au même titre que la pierre.
6. La qualité et la substance sont deux des dix prédicaments, ou catégories aristotéliciennes. La substance est ce qui est en soi, et sert de support aux qualités. « La substance, au sens le plus fondamental, premier et principal du terme, c’est ce qui n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un sujet: par exemple, l’homme individuel ou le cheval individuel. » (Aristote, Catégories, c. 5, trad. J. Tricot). La qualité est ce qui affecte la substance, et qui, en réponse à la question « quel? », indique qu’elle est de telle ou telle manière. « J’appelle qualité ce en vertu de quoi on est dit être tel. » (Aristote, ibidem, c. 8).
7. Ockham reprend la distinction faite par Aristote (ibidem, c. 8) entre quatre espèces de qualités. La troisième est une réalité distincte de la substance (l.70-71), comme la blancheur (l.74). « Telles sont, par exemple, la douceur, l’amertume, l’âcreté, avec toutes les déterminations de même ordre, en y ajoutant la chaleur, la froidure, la blancheur et la noirceur. » (Aristote, ibidem, c. 8). La quatrième désigne la substance même, mais en connotant l’ordonnancement de ses parties (l.85-86), comme la courbure ou la rectitude (l. 81), et d’une manière générale, la figure (l. 98). « Une quatrième sorte de qualité comprend la figure, ou la forme. » ‘Aristote, ibidem, c. 8). Les deux autres sens sont respectivement: la qualité qui n’est pas une seule chose, mais complexe de plusieurs autres, comme la santé; et la qualité qui désigne plutôt un effet produit sur nos sens, comme l’amertume (Cf. L. Baudry, lexique philosophique..., article qualitas). On comprend donc pourquoi l’interrogation porte uniquement ici sur les troisième et quatrième espèces.
8. Le contraire n’est pas le contradictoire. « Ainsi les propositions tout ce qui est bon est bon ou tout homme est bon ont pour contraire rien [de ce qui est bon n’est bon] ou nul [homme n’est bon], et pour contradictoire quelque bon [n’est pas bon] ou quelque homme [n’est pas bon] » (Aristote, De l’interprétation, ch. 14). « Certains [trames complexes] sont opposés de manière contradictoire: des propositions ont le même sujet et le même prédicat, mais l’une est affirmative et l’autre négative. Cependant, cela ne suffit pas: il faut que l’une soit universelle et l’autre particulière ou indéfinie, ou bien que chacune des deux soit singulière. », traduction par J. Biard de la Somme de logique d’Ockham (I, ch. 36): « Quaedam [complexa] enim complexa opponuntur contradictorie, quando scilicet aliquae propositiones habent idem subjectum et idem praedicatum sed una est affirmativa et alia negativa. Sed hoc non sufficit, sed oportet quod una sit universalis et alia particularis vel indefinita, vel quod utraque sit singularis ». L’aspect le plus remarquable des propositions contradictoires est que la vérité de l’une implique la fausseté de l’autre, que la fausseté de l’une implique la vérité de l’autre, ceci évidemment réciproquement. Elles constituent donc une alternative.
9. Au sens aristotélicien, le fait qu’un mobile quitte un lieu pour en occuper un autre: « Motus localis est coexistentia successiva, sine quiete media, alicujus continue existentis in diversis locis » (Ockham, Quodlibeta..., I, q. 5), le mouvement local est la coexistence successive, sans repos intermédiaire, de quelque chose existant de manière continue dans divers lieux. Ockham développe par ailleurs une théorie du mouvement.
10. Ce sont exactement les exemples donnés par Aristote dans les Catégories, c.8.
11. L’accident est ce qui existe non par soi-même, mais en une autre chose, comme ici la blancheur et la courbure, et qui peut être modifié sans disparirion de la chose, ni changement de nature. « Vocatur accidens aliquod praedicabile contigenter de alio. » (Ockham, Quodlibeta...,VI, q. 12): On appelle accident quelque chose qui peut être prédiqué d’autre chose de manière contingente.
12. Les prédicables, ou universaux, sont les différents modes selon lesquels un prédicat peut être rapporté à un sujet. Porphyre (234-env.310), dans Isagoge, en dégage cinq, à savoir: le genre, l’espèce, la différence spécifique, le propre et l’accident.
13. Cf. note 1 page 2.
14. L’agent est « ce qui produit, crée, détruit ou meut quelque chose ». (L. Baudry, Lexique..., article agens).
15. La cause première est celle qui n’est précédée d’aucune autre cause, elle n’est pas elle-même causée, elle a donc en elle-même sa raison d’être, elle est donc Dieu (on dira, comme Spinoza: causa sui, cause de soi, mais ici, et il y a peut-être une nuance importante, on dit non causata, non causée.
16. Les causes secondes sont celles qui, tout en étant causes d’un effet, sont elles-mêmes effets d’une autre cause, formant donc une chaîne, et posant problème par la régression à l’infini qu’elles semblent impliquer.
17. Ockham distingue l’agent qui produit et conserve de celui qui produit mais ne conserve pas. Le premier est celui dont la présence reste nécessaire pour que l’effet subsiste, le second est celui dont l’effet subsiste, même s’il disparaît une fois l’effet produit. Par exemple ici (l. 159-162), l’eau chauffée par le feu continue à être chaude si le feu est éteint.
18. « Vocant potentiam illam quae potest elicere et recipere diversos actus et contrarios » (Ockham, Quodlibeta...,III, 21): on appelle puissance ce qui peut produire et recevoir des actes divers et opposés. L’être en puissance est virtuellement. On distingue une puissance active, comme la chenille qui devient papillon, et une puissance passive, comme le bloc de pierre qui devient statue.
19. Cf. note p. 5.
20. La notion de supposition, peu utilisée directement dans ces extraits, est centrale dans la philosophie d’Ockham. D’une manière générale, la supposition consiste à utiliser une chose comme substitut d’une autre: « Suppositio est pro aliis positio ». Dans la théorie du langage, un mot supposepour ce qu’il signifie. A partir de là, sont dégagés plusieurs types de suppositions. Ici, l’action suppose pour l’agent en tant qu’agissant, c’est-à-dire que l’action ne désigne réellement rien d’autre que l’agent agissant.
21. Prédiquer, c’est affirmer un prédicat relativement à quelque chose. Le prédicat est ce qui est affirmé (ou nié) de cette chose.
22. Cf. Aristote, Catégories, c. 9 et 10.
23. Jean de Damas, ou Jean Damascène, auteur de la première somme théologique. Sa Source de la connaissance, comporte une dialectique, à laquelle se réfère Ockham. La référence est précisée par l’édition de St Bonaventure: version R. Grosseteste, c.20 et 36.
24. Cf. note 3, page 11.
25. Damascène, ibidem, c. 36; référence précisée par l’édition de St Bonaventure.
26. « Omnis distinctio vel realis, vel formalis, vel rationis », toute distinction est réelle, formelle, ou de raison Ockham, Quodlibeta..., I, q. 3). La distinction formelle est d’ordre théologique, autour de la notion de trinité, et relève plutôt de la foi. La distinction est de raison quand elle a pour objet des concepts ayant donc des définitions différentes, elle est réelle quand elle concerne des choses dont l’une n’est réellement pas l’autre. Comme dans l’ensemble de ces questions, il s’agit donc d’établir que des distinctions de raison n’emportent pas nécessairement des distinctions réelles.
27. Pour Aristote, l’être en acte est l’être réalisé, par opposition à l’être en puissance. Par exemple, la graine est en puissance, la plante est en acte.
28. Cf. Aristote, De l’interprétation, ch. 9, sur les futurs contingents. Ce qui aura lieu dans le futur, aura-t-il eu lieu par une nécessité de toute éternité? Non, en ce qui concerne les actions humaines. « L’expérience nous montre, en effet, que les choses futures ont leur principe dans la délibération et dans l’action, et que d’une manière générale, les choses qui n’existent pas toujours en acte renferment la puissance d’être ou de n’être pas, indifféremment » (19a, Trad. J. Tricot). La querelle des futurs contingents est une polémique centrale de la pensée du moyen-âge. Au contraire d’Aristote, pour des philosophes antérieurs à Ockham comme Thomas d’Aquin, ou postérieurs comme Leibniz, tout ce qui est dans le temps existe éternellement en Dieu, d’où celui-ci connaît infailliblement les contingents.
29. « Car il y a une seule chose dont Dieu est privé, C’est de faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été », citation d’ Agathon, tragédien athénien du Vème siècle, cité par Aristote dans l’ Ethique à Nicomaque (VI, C. 2, 1139b, trad. J. Tricot).
30. La distinction entre ce qui arrive par hasard et ce qui arrive par fortrune est longuement traitée par Aristote dans sa Physique, livre II, 4 à 6. « On voit donc que la fortune est une cause par accident, survenant dans les choses qui, étant en vue de quelque fin, relèvent en outre du choix » (197a, trad. H. Carteron). « Ainsi le hasard, pour s’en rapporter à son nom même, existe quand la cause se produit par elle-même en vain » (197b).
31. Terme apparaissant pour le christianisme dans la première Epître de Jean, aux alentours donc de la fin du premier siècle, mais dont l’idée, celle d’un anti-messie, semble avoir existé antérieurement dans le judaïsme. Figure très chargée symboliquement et de manière émotive,, l’Antéchrist a été l’objet de préoccupation de nombreux penseurs, notamment Augustin (Vème siècle), Grégoire le grand (VIème siècle), et est resté un article de foi catholique jusqu’à la fin du XIXème siècle.
32. Cf. Chatton, Reportatio, I, d. 30, q. 3; référence précisée par l’édition de St Bonaventure.
33. Cf. Aristote, Catégories, ch. 4. « (...) temps: hier, l’an dernier (...) ».
34. La notion d’«ubi », selon L. Baudry (Lexique..., article ubi), citant lui-même Duhem , Le temps et le mouvement chez les scolastiques, in "Revue de philosophie">², 1914, p. 140-145, provient de Gilbert de la Porée, Liber sex principiorum. L’argumentation est ici manifestement dirigée contre Duns Scot, qui pense que dans le mouvement local, quelque chose est effectivement acquis ou perdu par le corps qui se meut, et donc que l’ «ubi» est la propriété d’un corps qui se trouve dans un autre, qui est le lieu.
35. La notion de sphère ultime est liée à la conception aristotélicienne et médiévale d’un monde fini et sphérique. Le ciel est sphérique: « Le ciel a nécessairement une forme sphérique, qui est, en effet, la forme la plus appropriée à sa substance » (Aristote, Du ciel, II, 4, 286b). « Nous appelons ciel la substance de la circonférence la plus extérieure à l’univers » (ibidem, I, 9, 278b). Il ne peut rien y avoir au-delà: « On voit donc, par ce que nous avons dit, que non seulement il n’y a aucun corps en dehors de la circonférence, mais encore qu’il ne peut s’y produire aucun, de quelque masse qu’il soit » (ibidem). « En même temps, il est clair qu’il n’existe non plus ni lieu, ni vide, ni temps en dehors du ciel » (ibidem, I, 9, 279a). Il est en mouvement: « Il est donc naturel qu’il se meuve d’un mouvement nécessaire » (ibidem).
36. Cette conception implique le géocentrisme: « Il est donc manifeste que la terre est nécessairement au centre et immobile » (ibidem, II, 14, 296b), avec une connotation de perfection: « la ligne qui enveloppe le cercle sera parfaite » (ibidem, II, 4, 286b).
37. « C’est pourquoi les réalités qui s’y trouvent [dans le ciel] ne sont pas naturellement dans un lieu (...) » (Aristote, ibidem, I, 9, 279a).
38. « Le lieu, c’est par exemple, au Lycée (...) » (Aristote, Catégories, ch. 9).
39. Ce qui est notamment la position de Duns Scot, cf. note 1, page 20.
40. « Nous avons démontré, en effet, que le corps qui se meut circulairement ne peut pas changer son lieu » (Aristote, Du ciel, I, 9, 278b, trad. M. et S. Dayan). « Le corps doué du mouvement circulaire a le même lieu à la fois pour point de départ et pour point d’arrivée » ‘I, 9, 279a).
41. Contrairement à Duns Scot, qui tentait de distinguer deux sens du terme, Ockham n’en voit qu’un: que les parties de la chose, ici du corps, soient disposées et rapprochées de telle ou telle manière (l. 438).
42. L’ habitus vient de habere, avoir, et possède des sens multiples. C’est généralement, dans l’usage scolastique, l’un des accidents pouvant affecter la substance, et consistant dans le fait de posséder une chose ne faisant pas partie de soi (l. 418). Ici, il s’agit plus précisément d’avoir quelque chose sur soi, une chaussure, une capuche.
43. « Quant aux philosophes qui prétendent que le nombre mathématique est la première entité, et qui admettent ainsi une succession indéfinie de substances, et des principes différents pour chaque substance, ils font de la substance de l’univers une série d’épisodes sans lien entre eux (car, dans ce système, une substance n’exerce aucune influence sur une autre, par son existence ou sa non-existence), et ils nous gratifient d’une multitude de principes. Mais les êtres ne veulent pas être mal gouvernés : Le commandement de plusieurs n’est pas bon : qu’il n’y ait qu’un seul chef. » (Aristote, Métaphysique, livre L, 1075b-1076a, trad. J. Tricot). La citation faite par Aristote provient de l’Iliade. Un des philosophes visés est Speusippe (~393, ~339), neveu de Platon et son premier successeur à la tête de l’ Académie, auquel Aristote reproche, en divers endroits, sa conception d’un univers « épisodique ».
44. Cf. sur la distinction, note 3 page 13.
45. « Le continu est ce dont rien ne sépare les parties et dont les parties forment un tout per se .» L. Baudry, Lexique..., article continuum, traduisant Ockham, Expositio...: « Continua sunt illa quorum unum ad aliud extenditur et converso et faciunt per se unum ».
46. « Les parties du continu sont en nombre infini », développé par Ockham dans Questiones... (q. 69).
47. Simplicius (Vème-VIème siècles), philosophe grec néo-platonicien, commentateur d’ Epictète de d’ Aristote, a exercé une grande influence sur le moyen-âge. L’édition St Bonaventure précise la référence: Simplicius, In Categorias Aristot., ch. 7.
49. Argumentation qui doit être éclairée par la conception aristotélicienne concernant le vide. « Le vide semble être, n’est-ce pas, le lieu où il n’y a rien » (Aristote, Physique, livre IV, 213b, trad. H. Carteron). « Mais il est absurde qu’un point soit vide; en effet il faut que le vide soit un lieu où il y ait extension d’un corps tangible » (214a). « Le vide est ce qui n’est pas rempli d’un corps sensible au toucher » (214a). La question n’est pas close: là où la physique « classique », newtonienne, pose l’existence d’un espace réel, mais vide, la réalité le remplit d’un champ gravitationnel, réalité physique réellement existante, puisque partout identifiable et mesurable.
Par l'auteur de cette page, quelques textes un peu moins éducatifs, et qui néanmoins valent le détour : les recueils de nouvelles. |
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