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Prologue On pourrait s’inquiéter justement à l’idée de devoir vivre dans un monde peuplé de brutes matérialistes et impies, sans aucun sentiment religieux qui vienne nous sauver de la perdition, qui vienne nous arracher à notre barbarie primitive. Heureusement, presque à toutes les époques, l’humanité a su préserver l’essentiel, à savoir cette spiritualité profonde, qui est ce qu’il y a de plus noble en elle. Et la forme la plus haute de réalisation spirituelle a toujours été ce qui élève l’homme au dessus de sa misérable condition terrestre, la religion, sous ses formes diverses. Par elle, l’homme se transcende dans l’illuminante perspective du divin. Vers 400, à l’époque donc où le très digne évêque d’Hippone, lui-même ancien néoplatonicien, nous enseignait que le temps n’était rien, vivait à Alexandrie une jeune femme très savante, nommée Hypathie, fille de Théon le mathématicien. La dame, ayant acquis à Athènes la quintessence du savoir de l’époque, commentait dans l’école qu’elle avait fondée les grands maîtres spirituels, mathématiciens et philosophes, tels Ptolémée, Diophante, Aristote et Platon. Elle fut de son vivant considérée comme une éminente figure du renouveau néoplatonicien, en ces temps qui n’étaient pas si obscurs qu’on se complaît à l’imaginer de nos jours. Scientifique et technicienne, elle construit planisphères et hydroscopes. En 415, Cyrille, un autre saint évêque, farouche gardien de l’orthodoxie, à l’origine du dogme chrétien toujours en vigueur de l’union hypostatique de la nature divine et de la nature humaine du Christ, était patriarche d’Alexandrie. Hypathie, âgée alors de quarante-cinq ans, se promenait un jour de cette année bénie sur son char. Elle fut prise à partie par une foule de chrétiens vociférants, qui avaient préalablement été excités par des moines. Les dits chrétiens la mirent bas de son char, et lui arrachèrent ses vêtements. C’est une grande constante dans les mœurs de l’humanité, chrétienne ou pas, quand on veut du mal à une femme, on commence par la déshabiller, violemment de préférence. Elle fut ensuite jetée sur le parvis d’une église, car ce n’aurait pas été une offrande suffisante de la torturer en un lieu profane. Puis elle fut consciencieusement tuée à coups de pierre. Lapidée, dit-on de manière plus didactique. Comme on n’était pas tout à fait sûr que dieu, dans son énigmatique silence transcendant, ait compris le message, on découpa les restes de la dame en morceaux, dont on traîna les lambeaux dans les rues d’Alexandrie, sans doute également pour purifier la ville de la grossièreté impie des agnostiques. Il n’est pas de bonne guerre, nous rétorquera-t-on sans doute, de prendre pour symbole une si vieille histoire, datant des temps barbares, bien que dûment évangélisés. Évidemment, reconnaissons que ce n’est pas à notre époque qu’on lapiderait, égorgerait ni mettrait en morceaux quiconque au nom d’un dieu. Ca se saurait. Mais si on le faisait tout de même, gageons qu’on violerait la dame à mi-chemin de la lapidation, et avant bien sûr de la découper en morceaux, pour des raisons pratiques. Puisque dans certaines traditions religieuses, il est impie de mettre à mort une vierge. Alors, dans le doute… Maintenant, il est certainement plus rare qu’un agnostique assassine ou torture sauvagement quiconque, non seulement parce qu’il n’a aucune référence justificatrice pour cela, mais parce qu’il ne saurait pas pour lui faire dire quoi. |
Sermon
Des réserves sur la forme, d’abord. On s’émerveille, quand au contraire on n’anathématise pas, à tout grand rassemblement. Pourtant, la foule est haïssable, monstre inhumain. Dissolution dans une moyenne nécessairement intellectuellement et moralement pauvre, dans laquelle s’évanouit tout esprit critique, le rassemblement remplace la diversité des possibles par l’exaltation du nombre : ce peut être impressionnant, jamais subtil. La cérémonie de masse est le comble de la dissolution, ça fait sans doute un spectacle grandiose, cachant précisément sa vacuité par sa majesté. Tous les pouvoirs en font usage, car le moyen est efficace de donner un sentiment fort, n’ayant pas même besoin d’interdire la réflexion, car la chose est inhibitrice en la matière. Et quand de plus, le rassemblement prend soin de se choisir un titre omettant soigneusement sa qualification principale, avec une prétention indue à l’universalité, on a double raison de craindre. |
Épilogue
Vers le milieu du quatorzième siècle, le sieur Geoffroy de Charny, sans doute las des exploits militaires quoique chrétiens, décide de se reconvertir dans le commerce et la politique, et fonde une collégiale dans le petit village aubois de Lirey. Les exigences du marketing étant, quoiqu'on en dise, les mêmes à toutes époques, il lui faut trouver quelque chose de visuel, significatif et attractif, pour établir la réputation des lieux. Il lui vient alors une fort judicieuse invention, puisqu'elle fait encore recette six siècles plus tard. L'oncle de sa tendre dulcinée, Othon de la Roche, aurait ramené naguère, provenant d'un pillage en l'église Sainte-Marie-des-Blachernes à Constantinople, le drap qui a enveloppé le corps du fils de dieu après sa crucifixion. Il exhibe alors une étoffe, sur laquelle on peut voir comme en négatif, une forme humaine ressemblant comme par miracle à l'image que l'iconographie traditionnelle se fait de l'homme dieu. Dès cette époque cependant, une polémique amusante, car d'un genre bien actuel, se développe. Le pouvoir local, soucieux avant tout de défendre l'économie et le tourisme de la région, est partisan de l'authenticité du tissu. Le pape Clément VII, plus réservé, car il a à défendre une crédibilité globale moins aveuglée par les intérêts locaux, autorise qu'on vénère la chose comme un symbole, mais nie qu'il s'agisse de la pièce originale. |
Pour changer de registre
Par l'auteur de cette page, quelques textes un peu moins éducatifs, et qui néanmoins valent le détour : les recueils de nouvelles. |
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