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Une découverte rayonnante Début 1903, René Blondlot était un homme heureux. Professeur de physique à l'Université de Nancy, honorable correspondant de l'institut, il bénéficiait d'une certaine renommée. Et c'est alors que commença la triste affaire des rayons N. |
Un américain mal intentionné En février 1904, l'américain Robert W. Wood publie dans "Nature", le
compte-rendu consternant de sa visite à Nancy. |
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L'auto-suggestion inconsciente Wood n'est pas là seulement pour condamner. Il tente de comprendre. Il en arrive à une conclusion fondamentale : il est nécessaire que les observateurs ignorent ce qu'ils doivent voir, car tout le monde a tendance à "favoriser" la perception de ce qu'il attend. Ainsi les photos : sans qu'on puisse incriminer quiconque, si certaines photos donnaient des lumières plus lumineuses que d'autres, c'est que le photographe, attendant une luminosité plus forte, avait tendance à prendre un temps d'exposition plus long, les moyens techniques de l'époque n'étant pas très précis en la matière. Il faut alors parler de l'inconscient de l'observateur et de ses croyances. Ainsi se trouve confirmé ce que nous enseigne déjà l'étude de la simple perception : on voit ce qu'on a envie de voir. |
Les photos mettant en évidence |
Vérité et nationalisme | ||
Le fait qu'elles soient justifiées n'empêche pas que les attaques contre Blondlot s'inscrivent dans des conflits de nationalité. Wood était américain. Ses critiques sont relayées par des allemands, Rubens et Lummer, alors que l'accueil est en un premier temps beaucoup plus favorable en France.
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Les modes scientifiques La science n'échappe nullement aux modes et aux idéologies. Début vingtième siècle, l'air du temps était au rayonnements. " Les découvertes successives des radiations infrarouges et ultraviolettes, de toutes les radiations invisibles, des rayons de Röntgen, des rayons uraniques, enfin des radiations émises par le radium, l'actinium, etc., et de toutes celles qu'on rencontre aujourd'hui par toute la nature (...), toutes ces découvertes avaient tourné les recherches des savants vers des voies de ce genre et préparé les esprits de tous à accepter sans surprise, à attendre même comme une conséquence logique l'apparition de nouvelles espèces de radiations." (La revue scientifique, 1904). Homme politique, savant, chanteur à la mode ou autre, il n'est pas si facile d'échapper au "Qu'est-ce qui se fait en ce moment ?". |
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La parole du maître La vérité doit pouvoir être retrouvée librement par chacun qui s'en donne les moyens, et nul n'en est le détenteur officiel. Autrement dit, "l'argument d'autorité" n'a en soi aucune valeur, et quelque chose n'est pas vrai par la seule raison qu'un maître l'a dit. Ce principe est censé être le fondement de la pensée moderne depuis Descartes. Et pourtant... |
Un savant de chair
Mais le savant n'est pas seulement susceptible de faillir par l'esprit, il a aussi un corps. Et ce corps peut lui jouer de vilains tours à son insu. On a par exemple tendance à croire naïvement ce que l'œil donne à voir, et alors même qu'on songerait à se méfier des éventuels défauts d'un appareil optique, on tient, sauf défaut de vision particulier reconnu, l'œil quitte a priori de toute suspicion. Ce n'est pas seulement que le savant ne voit pas son oeil, c'est aussi qu'il a tendance à ne pas le penser. Et c'est comme ça qu'on a pu croire le monde sphérique, parce que notre oeil nous fait voir indûment une voûte céleste.
Il y avait un problème de perception visuelle dans les expériences sur les rayons N. Selon Blondlot lui-même, les variations lumineuses étaient trop faibles, et il était du coup, "indispensable, dans ces expériences, d'éviter toute contrainte de l'œil, tout effort de vision, d'accommodation ou autre, et de ne chercher en aucune façon à regarder fixement la source lumineuse dont on veut reconnaître les variations d'éclat". Mais voilà, le relâchement de l'accommodation entraîne une dilatation de la pupille et donc, signalait le docteur Weiss, "une pénétration plus grande de la lumière dans l'œil".
Il n'y a pas d'expérience définitive On pourrait penser que, concernant l'existence ou la non-existence d'un phénomène, il suffit d'une bonne expérience menée sérieusement, pour mettre un terme au doute. Mais les choses ne sont pas si simples, le verdict expérimental comporte toujours une dose d'incertitude, et reste du domaine de l'interprétation. Très souvent, des scientifiques interrogés sur la réalité des rayons N, admettaient qu'ils avaient expérimenté en vain, mais pour généralement conclure "ce qui ne prouve rien". Jean Perrin, célèbre physicien, professeur à la Sorbonne, était convaincu de l'inexactitude des travaux de Blondlot. Ce qui ne l'empêchait pas de conclure : " ne pas voir un phénomène ne prouve pas qu'il n'existe pas; cela prouve simplement qu'on ne l'a pas vu." En sens inverse, obtenir des résultats positifs n'est pas nécessairement une preuve suffisante d'existence, tant ils peuvent être le résultat de déterminations d'ordres très divers. Ainsi d'Arsonval, professeur au Collège de France et membre de l'Institut restait dubitatif et prudent, malgré les résultats positifs de ses expérimentations. Il est toujours naïf de croire que l'expérience est facilement susceptible de mettre en évidence des faits incontestables. |
Un consensus évolutif | |||
La Vérité, avec sa majuscule de majesté, s'établit de manière indubitable par le travail de la Raison, se soumettant au verdict de l'expérience. Aussi Moissan, professeur de chimie à la Sorbonne et membre de l'Institut, se montra choqué, de manière toute platonicienne, quand la Revue scientifique entreprit une enquête sur ce que les différents hommes de science pensaient des rayons N, arguant que les questions scientifiques n'étaient pas affaire de plébiscite. | |||
Pour changer de registre
Par l'auteur de cette page, quelques textes pouvant valoir le détour : les recueils de nouvelles. |
màj 220611 |