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Hegel délirait le monde avec des mots tiroirs. Mais, concrétement, sa solidarité au réel rationnel consistait à boire des bières avec ses étudiants. Schreber, lui aussi, divaguait, de formules épiques en incantations magiques à la totalité. Mais il y donnait son corps, ses entrailles, pour que le monde trouve son salut en s'y inscrivant profondément, et donc douloureusement. Daniel Paul n'est pas, quant à lui, un simple bateleur de transcendance. Et l'injustice des hommes, fidèle à ses principes, fait du premier, le charlatan, comme l'appelait Schopenhauer, un héros de la pensée humaine, et du second un pauvre fou qui n'aurait pas bien su intégrer le sexe de son père dans son histoire. Cette modeste page pour reconnaître modestement la grandeur surnaturelle, quand bien même délirante, de Schreber fils, l'homme qui n' a pas craint de partir seul au combat pour sauver le monde. |
Un père sans faille oeuvrant pour la santé du monde
"La gymnastique n’est donc pas une mode éphémère de plus, mais une rénovation, l’anoblissement d’un instinct, ou un germe, issu de la vieille mais encore vigoureuse racine de l’antique vie nationale allemande. L’homme peut satisfaire à des conceptions et des aspirations élevées, mais sans vigueur physique il ne peut que faire la preuve de l’immaturation de sa perfection - tel un arbre qui porterait de sublimes fleurs épanouies, à côté de fruits atrophiés. Ce qui est vrai pour l’individu l’est aussi pour la nation." (Le Pangymnastikon, trad. A.Sofiyana et C. Bormans). |
Reconnaissons à Daniel Paul qu'il y a quelque malveillance dans la traduction en français du titre de son oeuvre, "Les mémoires d'un névropathe". C'est que "névropathe" est compris en français comme névrosé, malade mental. Bref, un fou. Mais Schreber a intitulé son livre "Denkwürdigkeiten eines Nervenkranken". Malade des nerfs, dans un sens physiologique, et non malade mental. C'est qu'il s'agit précisément de prouver par ce mémoire qu'il n'est pas fou. Ses nerfs font l'objet d'une attaque, il va nous expliquer comment et pourquoi. Ce faisant, il se devra de nous expliquer sa compréhension complexe du monde. Et comment il lutte pour son salut... |
Daniel Paul est juge. Il envisage une carrière politique, mais l'échec qu'il subit aux élections du Reichstag le déstabilise fortement. Sa carrière professionnelle est par contre d'abord un succès, et il est nommé président de chambre à la cour d’appel de Dresde. Sa santé est cependant fragile et le contraint à entrer en maison de santé. Suite à des crises hallucinatoires, il finit par être suspendu et placé dans une clinique s'occupant de malades mentaux. Pour en sortir, il écrit son autobiographie, destinée à montrer qu'il n'est pas fou, et que tout s'explique par la mission salvatrice qui lui est impartie. C'est ainsi qu'il obtient en 1900, après un procès, d'être libéré. Il publie alors son texte, amputé de quelques passages censurés. Il est convaincu, et explique dans le détail, que l'accomplissement de sa mission passe par sa transformation en femme, par une action miraculeuse de Dieu, à l'aide de l'émission de rayons, à la mode à cette époque (voir l'épisode, plus sage, mais tout aussi délirant, des rayons N). Contre lui agissent de petits hommes, enfin des ébauches d'homme, "bâclés à la six-quatre-deux" comme le dit la traduction française consacrée. L'ensemble du processus repose sur une conception élaborée des "nerfs", qui sont en quelque sorte la jonction de l'âme et du corps. Evidemment ses élaborations et un comportement problématique le ramènent en clinique psychiatrique. Il meurt dans celle de Dösen, à côté de Leipzig, à 68 ans.
* L'immortalité à évolution variable |
* La fécondation d'une vierge, version initiatique d'un trouble dans le genre |
Le cas du Docteur Freud Freud ne lit pas Schreber, il l'utilise. Si le grand Docteur a prôné l'attention flottante, invention tout à fait digne d'intérêt, il l'a, quant à lui, parfois particulièrement flottante, et ne semble pas toujours briller, tant dans ses lectures que dans ses rencontres, par l'attention tout court. Son grand ami et ennemi, Carl Jung, le rapporte dans une entrevue où il parle de sa première rencontre avec lui, Freud n'écoutait pas beaucoup. Il cherche de l'or, ou le contraire, disons de l'homosexualité et de l'oedipe, et le souffle métaphysique de Schreber ne fait pas partie de son négoce. |
Pour changer de registre
Par l'auteur de cette page, quelques textes moins documentés, et qui néanmoins valent le détour : les recueils de nouvelles. |
màj 220612 |
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